Certains trouveront
bien prétentieux qu'un simple pêcheur se penche sur
la rédaction d'un tel document. Pratiquant le métier
de la coquille Saint-Jacques depuis dix ans, je ne peux me résoudre
à accepter qu'une telle ressource n'ait pas droit à
plus d'égards.Nous avons sous les pieds "une mine
d'or", nous le savons tous. Il ne tient qu'à nous
d'assurer la gestion et la pérennité de cette pêcherie.
Les schémas économiques d'après guerre, l'Etat
Providence, le libre accès à la ressource,
,
tout ceci est dépassé, nous devons créer
une dynamique, une synergie, autour de la CSJ, afin de rassembler
énergies et compétences.
De cette pêcherie dépend des hommes, mais aussi des
emplois induits, des "outils", toute une région,
son image, un tissu social, économique, touristique, un
savoir-faire, une recherche.Permettez moi de rappeler qu'il n'est
pas question ici d'opposer petits et grands bateaux, pas plus
que Hauts et Bas Normands.
La zone qui nous intéresse est celle de la Baie de Seine,
la gestion de "l'extérieur" relevant d'une gestion
communautaire. A moins que l'on puisse rêver d'un box Barfleur/Antifer,
ce qui permettrait de résoudre le problème des stocks
chevauchants.
Je dédies ces quelques pages au Risque Tout et à son équipage. Je n'ai jamais partagé les idées de M. P. Labbe sur cette gestion, mais ce désaccord n'exclut pas le plus profond respect.
Nous nous attacherons à décrire :
-Quelques points
de biologie.
-La flottille concernée, sa dépendance à
l'espèce CSJ, son hétérogénéité,
la flottille "opportuniste" de Haute Normandie.
-La réglementation, les pratiques, les tabous.
Nous nous attacherons à expliquer :
-Pourquoi une
gestion de la ressource
-Les "pistes" à explorer
Certains vont
bien évidemment être choqués par certains
constats, j'en suis désolé, mais il faut bien appeler
comme le dit l'expression populaire un chat, un chat.
Ce travail sera bien évidemment à compléter
par des données chiffrées, voire des témoignages
ou avis.
BIOLOGIE :
Pas question ici de faire une leçon sur les Pectens, il est seulement bon de se rappeler :
· La CSJ
est une espèce sédentaire, ce qui favorise la gestion.
Par exemple, si l'on laisse des coquilles on peut les retrouver
sans problème d'une année pour l'autre ou plus simplement
du vendredi au lundi.
· Après la ponte, la larve, pendant quelques jours,
est pélagique. Ceci peut expliquer un léger déplacement
de certains stocks.
· Il n'y a pas de rapport directe entre stock et recrutement.
Avec un très petit reliquat on peut espérer, si
la reproduction se passe dans de bonnes conditions, un renouvellement
important du stock.
Nous le savons bien à des mauvaises années succèdent,
parfois, des bonnes. Mais attention, nous verrons plus loin l'importance
du reliquat.
· A 11 cm une coquille a atteint sa maturité sexuelle
et peut après le printemps pondre de "façon
efficace". A une taille inférieure, elle n'a pas pu
assurer la reproduction de l'espèce.
FLOTTILLE :
La flottille concernée
par la Baie de Seine est bien cernée, tous les navires
concernés devant être titulaires d'une licence.
On peut distinguer deux flottilles :
· Celle des riverains Le Havre, Trouville, Ouistréham,
Courseulles, Port en Bessin, Grandcamp, Saint Vaast.
· Celle constituée principalement par des bateaux
de Dieppe. Les hauts Normands.
Les riverains :
La flottille n'est
pas homogène. On trouve des bateaux de 8 à 18m.
La tendance étant à la disparition des petits chalutiers
côtiers et à leur remplacement par des unités
plus grandes, avec pour espèce cible l'hiver la CSJ. On
a pu remarquer l'arrivée de ces nouvelles unités
à Grandcamp, Courseulles, Trouville.
Jusqu'en 1985 peu de bateaux armaient à la CSJ dès
le mois d'octobre. La raréfaction du poisson l'hiver en
Baie de Seine, le prix garanti de la CSJ, font qu'à présent
tous les bateaux, sauf les plus gros et les plus petits, arment
à l'ouverture du large.
La taille moyenne d'un coquillard serait environ 12 à 14m
pour 4/5 hommes.
A noter que les plus grosses unités sont à Grandcamp,
port dans lequel, pour beaucoup de patrons, la CSJ est quasi une
mono-activité.
La dépendance
économique, à la CSJ, de ces navires est très
importante.
La CSJ représente la première espèce en valeur
en Basse Normandie, avec en 1998 à l'OPBN 3 312 T pour
58 300 KF soit 15 % en valeur des apports.
A Copéport, au niveau avitaillement, le matériel
CSJ est le poste le plus important.
Ceci montre combien l'espèce est importante pour l'économie
de la région et l'équilibre financier des armements.
Des efforts importants ont été faits, réduction
du quota de licence, fermeture les w.e., limitation de la longueur
des bateaux, valorisation du produits avec NFM.
La Baie est considérée comme un ballon d'oxygène.
Elle représente aussi une pêche plus facile avec
la proximité des gisements et des bons cours.
Par contre, le fait que tout soit "ratissé" en
15 jours est perçu comme une fatalité.
Les Hauts Normands :
Cette flottille
est principalement constituée de grosses unités
14/20 m.
Avec des équipages fournis, beaucoup de ces bateaux ne
font que la CSJ.
A noter que les Hauts Normands gèrent eux-mêmes leurs
licences, ils semblent peu réceptifs aux problèmes
de gestion et de valorisation de la ressource.
La notion de quantité prime, leur production étant
en partie destinée au décorticage et aux industriels
(congelé, plats cuisinés).
Le rapport avec la Baie de Seine est seulement et simplement opportuniste.
En effet, les années d'abondance cette flottille "descend",
les années maigres elle reste chez elle. La Baie de Seine
est perçue comme un gâteau, sur lequel on a des droits
historiques. Les propositions sont éloquentes en 1998 les
Hauts Normands, sans se soucier des riverains demandaient la fermeture
pour un an de la Baie, en 1999, ils demandent l'ouverture à
tous leurs bateaux sans restriction de taille !
La réglementation est décidée tous les ans par les professionnels au sein du Comité Régional.
Elle est très simple :
· Limitation
de la durée : date de campagne du 1/12 au 30/03 environ
· Limitation de Long des bateaux <16m et de la puissance
<330 Kw
· Limitation du matériel 16 grages
· Limitation du tonnage journalier 250 Kg/Homme/Jour
· Fermeture les W.E.
· Contribution annuelle entre 300 et 600 F
· Non cumul des licences
On peut s'étonner
qu'avec autant de "limitation" on parle encore de gestion
de la ressource ! C'est simple malgré ces bonnes intentions
tous les ans en deux semaines la Baie est vidée de son
précieux contenu. Cette réglementation a d'ailleurs
était régulièrement assouplie soit par des
dérogations, soit par des retours en arrière (ex.
nombre de grages, quota).
C'est là, plutôt, une gestion de marché pour
éviter l'engorgement.
La cotisation dérisoire n'incite pas à la responsabilisation.
Les "sanctions", ce sujet est reporté d'années
en années faute de temps
Le contrôle des pêches est quasiment inexistant :
pas de moyen, pas de volonté politique, trop de carriéristes
dans l'Administration.
En cas d'infraction, les peines sont donc bien souvent dérisoires,
les Tribunaux attendris devant le pauvre pêcheur besogneux,
l'administration conciliante.
PRATIQUES ET TABOUS :
Le pêcheur
n'aime pas les réglementations. Il les considère
inutiles et contraignantes. Il les rend responsables de la disparition
de la profession, alors qu'en prenant un peu de recul, il s'aperçoit
que si on avait fait un peu attention à la ressource avant
Beaucoup ont connu les années d'abondance et pensent
revoir un jour cette manne dans leurs filets, les plus jeunes
bercés par ces illusions voient aussi une fatalité
dans les cycles naturels.
Après guerre, les pêches "miraculeuses"
sont restées gravées dans les mémoires. Ont
suivi des motorisations plus puissantes, des nouveaux matériaux,
de nouvelles techniques, tous ces progrès ont masqué
le problème de la ressource. Aujourd'hui, même si
des progrès techniques sont possibles, le principal enjeu
est celui de la ressource.
Pour ce qui est des coquillards, on a trois populations :
· Les plus
anciens qui n'ont plus beaucoup d'années à faire
et dont le principal souci est de transmettre leur outil de travail.
· Les plus jeunes, qui endettés, n'ont qu'un objectif
faire de l'argent à court terme.
· Les intermédiaires qui sentent bien que l'on doit
agir mais qui ne s'expriment pas.
Il est difficile
d'expliquer au premier qu'il est préférable de vendre
en laissant derrière eux une pêche structurée
et aux seconds que l'argent vite gagné n'assure pas la
longévité d'un armement, quand on a contracté
des crédits sur 15 ans.
Notre troisième population est convaincue que tout est
décidé d'avance, qu'elle ne sera pas écoutée,
elle baisse les bras devant le lobbying des plus gros armements.
Les tabous
Ils sont bien souvent inhérent à la réglementation. Taille légale et quota ont crée "petites" et "dépassements".
La petite :
c'est malheureusement une chose qui semble se généraliser,
on doit répéter que cette pratique archaïque
ne présente que des inconvénients :
· Pénalisation du stock en enlevant des individus
immatures, donc n'ayant pas reproduit.
· Déstabilisation du marché, vente en noir
à vil prix.
· Manque à gagner pour l'année suivante.
Tout ceci est simple à comprendre. Il vaut mieux laisser
à l'eau 200 Kg de CSJ de 10 cm à 10 F, pour repêcher
l'année suivante 300 Kg à 20 F qui de surcroît
auront assurer leur descendance. La plus value sera de 4000 F
Ces
dérapages peuvent être facilement contenu en utilisant
des anneaux plus grand. (J.Vigneau Manchouest 27)
Le dépassement
de quota :
je ne parle pas ici des 2 ou 3 bacs ramenés en fin de semaine,
mais de véritable surpêche. Il est édifiant
de voir, en période d'ouverture, des unités commandées
par des patrons expérimentés avoir autant de difficultés
à pêcher leur quota. Les Granvillais nous ont donné
bien souvent sur ce sujet des leçons de civisme en regagnant
leur foyer bien avant la limite fatidique du vendredi.
Il est aussi vrai que dans certains ports un bateau, qui rentre
coulé par le poids de sa pêche, est salué
par un "belle pêche !" et non pas "ah le
vilain !".
Certains mareyeurs opérant hors criée ne sont pas
non plus très scrupuleux. Il n'ont pas devoir de police
dans leur attribution. Là aussi tout est question de mentalité.
Ces ventes parallèles déstabilisent le marché.
Ce sont souvent ceux qui les pratiquent, qui les dénoncent
!
Il faut chercher à développer un nouveau concept
: "pêcher moins pour vendre mieux".
Les noix :
c'est une spécialité haut-normande, certains armateurs
ont affirmé publiquement que les bateaux qui ne pratiquaient
pas la décortication, ne trouvaient pas de matelots. Certains
embarquent aussi un homme supplémentaire pour cette tâche.
Ce sont bien sûr les petites qui sont les premières
victimes de ces pratiques. Manque à gagner pour tout le
monde, sauf peut-être les patrons de café
Lors de la campagne 1997/98, les gisements hauts-normands étaient particulièrement prolifiques. On y trouvait de la CSJ hors taille en quantité qui fût malheureusement ramassée. En 1998/99, cette ressource dilapidée avait bien évidemment disparu. Il serait intéressant de calculer le manque à gagner induit par ces pratiques anachroniques, sur l'ensemble de cette flottille.
Pêche
en Baie en période de fermeture :
Cette pratique est marginale, mais elle déstabilise la
flottille et ses équipages. Partir 12 heures et ramener
1 T de CSJ, alors qu'il faut 72 h au Large pour le même
résultat, est facile et tentant. Certains y voient un acte
de bravoure. Avant l'ouverture 98, les Maloins ne s'en sont pas
privés, ceci est déplorable.
POURQUOI :
Nous l'avons vu
la flottille côtière, surtout les petites et moyennes
unités riveraines est très dépendante de
cette espèce. L'hiver est une période difficile
pour ces unités. Les événements de mer sont
là malheureusement pour nous le rappeler. Pratiquer le
Large, pendant les mois de janvier et février, n'est pas
une partie de plaisir.
Il convient donc de mettre en place une véritable gestion
de la ressource, afin de :
· Conforter
durant les mois d'hiver les chiffres d'affaires de ces bateaux.
· Valoriser le Pectens Baie de Seine
· Préserver l'économie littorale, la vie
des ports, des coopératives...
· Augmenter la durée des campagnes.
· Réglementer l'accès à la ressource,
le libre accès n'existe plus, licence et PPS sont là
pour le rappeler.
COMMENT :
Pas de solution toute faite, pas de miracle, du temps, de la conviction, de la persévérance, voici quelques pistes :
· Favoriser
un dialogue et un débat local, afin de montrer en commission
régionale et inter-régionale un profil plus uni
· Exiger une véritable politique des pêches,
demander à nos représentants de satisfaire à
la loi en mettant en place de véritable points de débarques
contrôlés et équipés.
· Contrôler la gestion des licences du cote haut
et bas-normands.
· Elaborer un moratoire pour les unités hors normes
· Respecter et prendre en compte les recommandations d'Ifremer.
· Accepter de réduire le temps de pêche, surtout
en période d'ouverture, pêche de jour uniquement
par exemple.
· Accepter de réduire le nombre de grages.
· Changer la taille des anneaux des filets métalliques
afin de résoudre le problème de la "hors taille".
· Mettre en place une véritable politique de reliquat
afin d'optimiser la reproduction et de constituer une réserve
en cas de renouvellement médiocre.
· Développer l'idée de cantonnement.
· Valoriser ce produit unique, le faire connaître
et reconnaître à sa juste valeur, les outils sont
là : Normandie Fraîcheur Mer.
Il faut, de façon concertée, mettre en route un plan sur plusieurs années, avec des échéances et surtout, un objectif. Transformer cette utopique gestion de la ressource en réalité, c'est possible, mais cela demande à chacun de respecter les règles établies au delà d'intérêts personnels et à l'ensemble de la profession de faire preuve de maturité et de volonté.
En organisant
cette pêcherie, nous avons tout à gagner : la sauvegarde
de la pêche côtière, la valorisation de nos
produits, pour qu'ils ne soient plus vendus au prix de retrait,
lui-même calculé sur le cours mondial de la noix
de pectens. Notre coquille doit retrouver son caractère
festif.
Saint-Brieuc n'est certainement pas l'exemple
parfait, de plus il ne peut être calqué, mais j'aime
à répéter ce qui disait un pêcheur
: "la biomasse, c'est notre capital, nous en récoltons
les intérêts" et aussi ce saint homme curé
et marin :
" L'océan est un être
vivant qu'il faut respecter, un être, fragile qu'il faut
préserver, car préserver l'océan c'est préserver
l'humanité. C'est le message des années 2000 et
les pêcheries qui s'inscrivent dans ce sens-là auront
un avenir. " Mikel Epalza (le marin 20/08/99)