un projet pour la Baie
de Seine ?
ROGOFF DIMITRI 09/99

Préambule

Certains trouveront bien prétentieux qu'un simple pêcheur se penche sur la rédaction d'un tel document. Pratiquant le métier de la coquille Saint-Jacques depuis dix ans, je ne peux me résoudre à accepter qu'une telle ressource n'ait pas droit à plus d'égards.Nous avons sous les pieds "une mine d'or", nous le savons tous. Il ne tient qu'à nous d'assurer la gestion et la pérennité de cette pêcherie.
Les schémas économiques d'après guerre, l'Etat Providence, le libre accès à la ressource,…, tout ceci est dépassé, nous devons créer une dynamique, une synergie, autour de la CSJ, afin de rassembler énergies et compétences.
De cette pêcherie dépend des hommes, mais aussi des emplois induits, des "outils", toute une région, son image, un tissu social, économique, touristique, un savoir-faire, une recherche.Permettez moi de rappeler qu'il n'est pas question ici d'opposer petits et grands bateaux, pas plus que Hauts et Bas Normands.
La zone qui nous intéresse est celle de la Baie de Seine, la gestion de "l'extérieur" relevant d'une gestion communautaire. A moins que l'on puisse rêver d'un box Barfleur/Antifer, ce qui permettrait de résoudre le problème des stocks chevauchants.

Je dédies ces quelques pages au Risque Tout et à son équipage. Je n'ai jamais partagé les idées de M. P. Labbe sur cette gestion, mais ce désaccord n'exclut pas le plus profond respect.

Introduction

Nous nous attacherons à décrire :

-Quelques points de biologie.
-La flottille concernée, sa dépendance à l'espèce CSJ, son hétérogénéité, la flottille "opportuniste" de Haute Normandie.
-La réglementation, les pratiques, les tabous.

Nous nous attacherons à expliquer :

-Pourquoi une gestion de la ressource
-Les "pistes" à explorer

Certains vont bien évidemment être choqués par certains constats, j'en suis désolé, mais il faut bien appeler comme le dit l'expression populaire un chat, un chat.
Ce travail sera bien évidemment à compléter par des données chiffrées, voire des témoignages ou avis.

ETAT DES LIEUX

BIOLOGIE :

Pas question ici de faire une leçon sur les Pectens, il est seulement bon de se rappeler :

· La CSJ est une espèce sédentaire, ce qui favorise la gestion. Par exemple, si l'on laisse des coquilles on peut les retrouver sans problème d'une année pour l'autre ou plus simplement du vendredi au lundi.
· Après la ponte, la larve, pendant quelques jours, est pélagique. Ceci peut expliquer un léger déplacement de certains stocks.
· Il n'y a pas de rapport directe entre stock et recrutement. Avec un très petit reliquat on peut espérer, si la reproduction se passe dans de bonnes conditions, un renouvellement important du stock.
Nous le savons bien à des mauvaises années succèdent, parfois, des bonnes. Mais attention, nous verrons plus loin l'importance du reliquat.
· A 11 cm une coquille a atteint sa maturité sexuelle et peut après le printemps pondre de "façon efficace". A une taille inférieure, elle n'a pas pu assurer la reproduction de l'espèce.

FLOTTILLE :

La flottille concernée par la Baie de Seine est bien cernée, tous les navires concernés devant être titulaires d'une licence.
On peut distinguer deux flottilles :
· Celle des riverains Le Havre, Trouville, Ouistréham, Courseulles, Port en Bessin, Grandcamp, Saint Vaast.
· Celle constituée principalement par des bateaux de Dieppe. Les hauts Normands.

Les riverains :

La flottille n'est pas homogène. On trouve des bateaux de 8 à 18m. La tendance étant à la disparition des petits chalutiers côtiers et à leur remplacement par des unités plus grandes, avec pour espèce cible l'hiver la CSJ. On a pu remarquer l'arrivée de ces nouvelles unités à Grandcamp, Courseulles, Trouville.
Jusqu'en 1985 peu de bateaux armaient à la CSJ dès le mois d'octobre. La raréfaction du poisson l'hiver en Baie de Seine, le prix garanti de la CSJ, font qu'à présent tous les bateaux, sauf les plus gros et les plus petits, arment à l'ouverture du large.
La taille moyenne d'un coquillard serait environ 12 à 14m pour 4/5 hommes.
A noter que les plus grosses unités sont à Grandcamp, port dans lequel, pour beaucoup de patrons, la CSJ est quasi une mono-activité.

La dépendance économique, à la CSJ, de ces navires est très importante.
La CSJ représente la première espèce en valeur en Basse Normandie, avec en 1998 à l'OPBN 3 312 T pour 58 300 KF soit 15 % en valeur des apports.
A Copéport, au niveau avitaillement, le matériel CSJ est le poste le plus important.
Ceci montre combien l'espèce est importante pour l'économie de la région et l'équilibre financier des armements.
Des efforts importants ont été faits, réduction du quota de licence, fermeture les w.e., limitation de la longueur des bateaux, valorisation du produits avec NFM.
La Baie est considérée comme un ballon d'oxygène. Elle représente aussi une pêche plus facile avec la proximité des gisements et des bons cours.
Par contre, le fait que tout soit "ratissé" en 15 jours est perçu comme une fatalité.

Les Hauts Normands :

Cette flottille est principalement constituée de grosses unités 14/20 m.
Avec des équipages fournis, beaucoup de ces bateaux ne font que la CSJ.
A noter que les Hauts Normands gèrent eux-mêmes leurs licences, ils semblent peu réceptifs aux problèmes de gestion et de valorisation de la ressource.
La notion de quantité prime, leur production étant en partie destinée au décorticage et aux industriels (congelé, plats cuisinés).
Le rapport avec la Baie de Seine est seulement et simplement opportuniste. En effet, les années d'abondance cette flottille "descend", les années maigres elle reste chez elle. La Baie de Seine est perçue comme un gâteau, sur lequel on a des droits historiques. Les propositions sont éloquentes en 1998 les Hauts Normands, sans se soucier des riverains demandaient la fermeture pour un an de la Baie, en 1999, ils demandent l'ouverture à tous leurs bateaux sans restriction de taille !…

REGLEMENTATION :

La réglementation est décidée tous les ans par les professionnels au sein du Comité Régional.

Elle est très simple :

· Limitation de la durée : date de campagne du 1/12 au 30/03 environ
· Limitation de Long des bateaux <16m et de la puissance <330 Kw
· Limitation du matériel 16 grages
· Limitation du tonnage journalier 250 Kg/Homme/Jour
· Fermeture les W.E.
· Contribution annuelle entre 300 et 600 F
· Non cumul des licences

On peut s'étonner qu'avec autant de "limitation" on parle encore de gestion de la ressource ! C'est simple malgré ces bonnes intentions tous les ans en deux semaines la Baie est vidée de son précieux contenu. Cette réglementation a d'ailleurs était régulièrement assouplie soit par des dérogations, soit par des retours en arrière (ex. nombre de grages, quota).
C'est là, plutôt, une gestion de marché pour éviter l'engorgement.
La cotisation dérisoire n'incite pas à la responsabilisation.
Les "sanctions", ce sujet est reporté d'années en années faute de temps…
Le contrôle des pêches est quasiment inexistant : pas de moyen, pas de volonté politique, trop de carriéristes dans l'Administration.
En cas d'infraction, les peines sont donc bien souvent dérisoires, les Tribunaux attendris devant le pauvre pêcheur besogneux, l'administration conciliante.

PRATIQUES ET TABOUS :

Le pêcheur n'aime pas les réglementations. Il les considère inutiles et contraignantes. Il les rend responsables de la disparition de la profession, alors qu'en prenant un peu de recul, il s'aperçoit que si on avait fait un peu attention à la ressource avant … Beaucoup ont connu les années d'abondance et pensent revoir un jour cette manne dans leurs filets, les plus jeunes bercés par ces illusions voient aussi une fatalité dans les cycles naturels.
Après guerre, les pêches "miraculeuses" sont restées gravées dans les mémoires. Ont suivi des motorisations plus puissantes, des nouveaux matériaux, de nouvelles techniques, tous ces progrès ont masqué le problème de la ressource. Aujourd'hui, même si des progrès techniques sont possibles, le principal enjeu est celui de la ressource.

Pour ce qui est des coquillards, on a trois populations :

· Les plus anciens qui n'ont plus beaucoup d'années à faire et dont le principal souci est de transmettre leur outil de travail.
· Les plus jeunes, qui endettés, n'ont qu'un objectif faire de l'argent à court terme.
· Les intermédiaires qui sentent bien que l'on doit agir mais qui ne s'expriment pas.

Il est difficile d'expliquer au premier qu'il est préférable de vendre en laissant derrière eux une pêche structurée et aux seconds que l'argent vite gagné n'assure pas la longévité d'un armement, quand on a contracté des crédits sur 15 ans.
Notre troisième population est convaincue que tout est décidé d'avance, qu'elle ne sera pas écoutée, elle baisse les bras devant le lobbying des plus gros armements.

Les tabous

Ils sont bien souvent inhérent à la réglementation. Taille légale et quota ont crée "petites" et "dépassements".

La petite :
c'est malheureusement une chose qui semble se généraliser, on doit répéter que cette pratique archaïque ne présente que des inconvénients :
· Pénalisation du stock en enlevant des individus immatures, donc n'ayant pas reproduit.
· Déstabilisation du marché, vente en noir à vil prix.
· Manque à gagner pour l'année suivante.
Tout ceci est simple à comprendre. Il vaut mieux laisser à l'eau 200 Kg de CSJ de 10 cm à 10 F, pour repêcher l'année suivante 300 Kg à 20 F qui de surcroît auront assurer leur descendance. La plus value sera de 4000 F…Ces dérapages peuvent être facilement contenu en utilisant des anneaux plus grand. (J.Vigneau Manchouest 27)

Le dépassement de quota :
je ne parle pas ici des 2 ou 3 bacs ramenés en fin de semaine, mais de véritable surpêche. Il est édifiant de voir, en période d'ouverture, des unités commandées par des patrons expérimentés avoir autant de difficultés à pêcher leur quota. Les Granvillais nous ont donné bien souvent sur ce sujet des leçons de civisme en regagnant leur foyer bien avant la limite fatidique du vendredi.
Il est aussi vrai que dans certains ports un bateau, qui rentre coulé par le poids de sa pêche, est salué par un "belle pêche !" et non pas "ah le vilain !".
Certains mareyeurs opérant hors criée ne sont pas non plus très scrupuleux. Il n'ont pas devoir de police dans leur attribution. Là aussi tout est question de mentalité. Ces ventes parallèles déstabilisent le marché. Ce sont souvent ceux qui les pratiquent, qui les dénoncent !
Il faut chercher à développer un nouveau concept : "pêcher moins pour vendre mieux".

Les noix :
c'est une spécialité haut-normande, certains armateurs ont affirmé publiquement que les bateaux qui ne pratiquaient pas la décortication, ne trouvaient pas de matelots. Certains embarquent aussi un homme supplémentaire pour cette tâche. Ce sont bien sûr les petites qui sont les premières victimes de ces pratiques. Manque à gagner pour tout le monde, sauf peut-être les patrons de café…

Lors de la campagne 1997/98, les gisements hauts-normands étaient particulièrement prolifiques. On y trouvait de la CSJ hors taille en quantité qui fût malheureusement ramassée. En 1998/99, cette ressource dilapidée avait bien évidemment disparu. Il serait intéressant de calculer le manque à gagner induit par ces pratiques anachroniques, sur l'ensemble de cette flottille.

Pêche en Baie en période de fermeture :
Cette pratique est marginale, mais elle déstabilise la flottille et ses équipages. Partir 12 heures et ramener 1 T de CSJ, alors qu'il faut 72 h au Large pour le même résultat, est facile et tentant. Certains y voient un acte de bravoure. Avant l'ouverture 98, les Maloins ne s'en sont pas privés, ceci est déplorable.

VERS UNE GESTION DE LA RESSOURCE

POURQUOI :

Nous l'avons vu la flottille côtière, surtout les petites et moyennes unités riveraines est très dépendante de cette espèce. L'hiver est une période difficile pour ces unités. Les événements de mer sont là malheureusement pour nous le rappeler. Pratiquer le Large, pendant les mois de janvier et février, n'est pas une partie de plaisir.
Il convient donc de mettre en place une véritable gestion de la ressource, afin de :

· Conforter durant les mois d'hiver les chiffres d'affaires de ces bateaux.
· Valoriser le Pectens Baie de Seine
· Préserver l'économie littorale, la vie des ports, des coopératives...
· Augmenter la durée des campagnes.
· Réglementer l'accès à la ressource, le libre accès n'existe plus, licence et PPS sont là pour le rappeler.

COMMENT :

Pas de solution toute faite, pas de miracle, du temps, de la conviction, de la persévérance, voici quelques pistes :

· Favoriser un dialogue et un débat local, afin de montrer en commission régionale et inter-régionale un profil plus uni
· Exiger une véritable politique des pêches, demander à nos représentants de satisfaire à la loi en mettant en place de véritable points de débarques contrôlés et équipés.
· Contrôler la gestion des licences du cote haut et bas-normands.
· Elaborer un moratoire pour les unités hors normes
· Respecter et prendre en compte les recommandations d'Ifremer.
· Accepter de réduire le temps de pêche, surtout en période d'ouverture, pêche de jour uniquement par exemple.
· Accepter de réduire le nombre de grages.
· Changer la taille des anneaux des filets métalliques afin de résoudre le problème de la "hors taille".
· Mettre en place une véritable politique de reliquat afin d'optimiser la reproduction et de constituer une réserve en cas de renouvellement médiocre.
· Développer l'idée de cantonnement.
· Valoriser ce produit unique, le faire connaître et reconnaître à sa juste valeur, les outils sont là : Normandie Fraîcheur Mer.

Il faut, de façon concertée, mettre en route un plan sur plusieurs années, avec des échéances et surtout, un objectif. Transformer cette utopique gestion de la ressource en réalité, c'est possible, mais cela demande à chacun de respecter les règles établies au delà d'intérêts personnels et à l'ensemble de la profession de faire preuve de maturité et de volonté.

CONCLUSION :

En organisant cette pêcherie, nous avons tout à gagner : la sauvegarde de la pêche côtière, la valorisation de nos produits, pour qu'ils ne soient plus vendus au prix de retrait, lui-même calculé sur le cours mondial de la noix de pectens. Notre coquille doit retrouver son caractère festif.
Saint-Brieuc n'est certainement pas l'exemple parfait, de plus il ne peut être calqué, mais j'aime à répéter ce qui disait un pêcheur : "la biomasse, c'est notre capital, nous en récoltons les intérêts" et aussi ce saint homme curé et marin :
" L'océan est un être vivant qu'il faut respecter, un être, fragile qu'il faut préserver, car préserver l'océan c'est préserver l'humanité. C'est le message des années 2000 et les pêcheries qui s'inscrivent dans ce sens-là auront un avenir. " Mikel Epalza (le marin 20/08/99)