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Variations sur la coquille Saint-Jacques
une très belle prose de M.Besnier à qui je dédie ce magnifique cliché de M.LOIR
1. Saint-Jacques était fils de pêcheur.
2. Sur le tableau de Botticelli, la conque marine d'où Vénus commence à sortir est une coquille Saint-Jacques.
De quoi rendre jaloux tous les mollusques bivalves,
mais quel autre pouvait aussi bien porter ce corps tendre comme une noix, ces cheveux couleur de corail ?
3. A la différence d'autres bêtes dont je connais tous les états depuis la vie jusqu'à l'assiette, je ne connais la coquille Saint-Jacques que pêchée. Il me manque d'en avoir
vu dans leur vraie vie, les tentacules en action et tous les yeux en éveil.
4. Sur l'extérieur de la valve plate, rayons de soleil, nervures d'éventail, roue de paon. A l'intérieur de l'autre valve, les cannelures se font de plus en plus blanches, jusqu'à la pureté absolue que ponctue le noir de la charnière, entre les deux oreilles.
5. De quoi la coquille Saint-Jacques se compose-t-elle ? (1)
D'une noix, d'un corail et de barbes. Trois mots à rêver avant préparation ou consommation.
6. Souvenir :
Ma mère préparait les coquilles Saint-Jacques d'une façon simplissime. Le délice du résultat m'empêche de le qualifier d'austère, mais il y avait quelque vertu dans ce manque d'apprêt. Elle ne gardait que la noix et le corail, qu'elle appelait aussi la langue. Ce qui s'ajoutait dans la coquille l'était selon une quantité définie par "un peu" : un peu d'oignon, u n peu de beurre, un peu de sel et de poivre, un peu de vin blanc. Elle posait côte à côte les coquilles sur le fourneau, à la manière des marrons et laissait gratiner. La cuisine s'emplissait d'un parfum, d'un de ces parfums que l'on peut en vain rechercher toute sa vie. Ma mère déplaçait d'un coup de doigt les coquilles, pour qu'elles bénéficient à tour de rôle des parties les plus et les moins chaudes de la plaque. Quand, dans le parfum, commençait à poindre le soupçon de la couleur marron qui se formait, c'était prêt. Les coquilles arrivaient sur la table, une à une, brûlante. Les pèlerins, jadis, se servaient de la coquille Saint Jacques comme d'une coupe ou d'un plat. Pèlerins sédentaires, nous faisions de la coquille et le plat et l'assiette, le contenant et le contenu réunis dans une autonomie, une totalité modestes et magiques. L'art de la dégustation consistait à faire durer le plaisir, à diviser la noix en morceaux qui devaient être petits sans atteindre la maigreur, pour ne pas perdre la texture d'une chair dense, généreuse. A alterner le goût de la noix et celui du corail. Enfin, à éponger le jus avec de la mie et, surtout, lécher le fond de la coquille, suivre les rainures pour ne rien laisser de ce gratin, de ce caramel dont le sucre venait de la mer. Quand le fourneau était désert et que les coquilles s'étaient empilées comme des cendriers, on disait que cela avait un goût de "trop peu" ou de "revenez-y", tout en sachant ce que le plaisir devait au nombre limité...
Aujourd'hui, il m'est impossible de refaire les mêmes coquilles Saint-Jacques : je peux en trouver de belles, mais il manque le fourneau.
(1) Calembour de pèlerin qui fut pendu pour mauvais goût et ressuscité après que ses parents aient prié Saint-Jacques, quelque part sur le chemin de Compostelle.
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Pablo Ruiz Picasso
La coquille Saint-Jacques
(Notre Avenir est dans l'air) |
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